Au zoo de la Flèche, les visiteurs peuvent dormir dans les lodges près de Yabu, le lion albinos. Photo : Mélina Rivière/EPJT.
De l’établissement hôtelier à la tyrolienne au dessus des cages, les zoos sont devenus de véritables parcs d’attraction. Une métamorphose bien loin de leurs missions principales : la protection et la conservation des espèces animales.
Par Perrine Basset, Mélina Rivière (photos) et Théo Touchais
L’année 2017 a été excellente à tous les niveaux pour Beauval Nature, tant au niveau financier que pour ses activités. Dans le rapport d’activité de 2017 de son association, Rodolphe Delord, directeur du zoo situé à Saint-Aignan-sur-Cher, dans le Loir-et-Cher, célèbre ses succès. Il en oublierait presque les deux petites lignes, plus bas, où il est écrit que le total des dépenses réalisées est inférieur à ce qui était prévu. Et pour cause, des projets en recherche et conservation « n’ont finalement pas été concrétisés et sont donc reportés ».
Les pandas géants, prêtés à l’établissement par l’État chinois, sont l’attraction majeure du zooparc de Beauval.
Malgré une communication tout azimut, les zoos sont des forteresses impénétrables pour les journalistes. Aucune information n’est divulguée sans avoir été dûment contrôlée. Tout est calibré au millimètre. Rien ne dépasse. Lors de notre visite à Beauval, le personnel de l’accueil avait dessiné sur son carnet un triangle avec un point d’exclamation : « Attention ! journalistes, pas d’accès aux coulisses. »
Beauval a résolument tourné ses projecteurs vers ses trois pandas pour attirer le chaland. Pour augmenter sa notoriété, le zoo de la Flèche, près du Mans, a su, lui, profiter de la série télévisée « Une saison au zoo ». Diffusée sur France 4 depuis 2014, celle-ci est à l’origine d’une explosion, celui du nombre de visites. Depuis 2015, près de 400 000 visiteurs viennent au zoo, chaque année. Comme Florence, venue exprès de la Somme : « Je regarde souvent l’émission et c’est bien mieux en vrai », s’enthousiasme-t-elle. Elle finit par avouer que, sans la série, « je ne serais probablement jamais venue ».
Dans cette course au développement où chaque zoo tente de se démarquer, les animaux sont-ils toujours la priorité ?
A la Flèche, le public découvre ce qu’il voit chaque semaine à la télévision : la soigneuse et son spectacle d’otaries, les facétieux singes Saïmiri et les aras multicolores.
L’association Beauval Nature n’est pas la seule à avoir réduit ses investissements dans la protection des animaux. Le ZooSafari de Thoiry, situé dans les Yvelines, vante la mise en place de ses nouvelles attractions.
« Ces deux dernières années, les nouveautés n’étaient pas animalières [il s’agit de l’installation d’une tyrolienne et de filets suspendus, NDLR] comme on peut l’attendre des parcs zoologiques », explique Matthieu Descombes, responsable pédagogique nature du lieu.
Mais pour s’envoler au dessus des lions, 6 euros sont nécessaires, en plus du billet d’entrée adulte à 29 euros. Et si vous voulez en plus faire un tour de camion de brousse, il vous en coûtera encore 8 euros.
« Le but est de se diversifier pour ne pas ressembler aux autres parcs. Les clients viennent aussi à Thoiry pour être acteurs de leur visite. »
Mathieu Descombes
Le Zoo de la Flèche s’est lancé dans la construction de lodges : des chalets, à l’intérieur du zoo, dans les enclos des animaux. Depuis 2012, il y a investi 2,3 millions d’euros pour attirer des clients et prolonger leurs séjours. Le zoo joue à fond la relation de proximité avec l’animal. La grande baie vitrée de l’Arctic Lodge donne directement sur la piscine de l’ours polaire, Taïko, une des vedette de l’émission « Une saison au zoo ».
Venus visiter le zoo pour la première fois, Nicolas et Laurène ont été tentés par les lodges. Un soir de novembre, ils ont pu dormir auprès des lions. « Une expérience exceptionnelle » qui a impressionné leur enfant de 10 ans. Mais pour dormir près des animaux, une famille de quatre personne devra débourser 99 euros par enfant et 255 euros pour les deux adultes. Soit un total de 453 euros, pour une nuit et deux jours.
Depuis l’arrivée des pandas, Beauval s’est mis à l’heure de l’Asie y compris, pour ses hôtels d’inspirations chinoises.
Beauval a préféré miser sur des hôtels qui fleurissent tout autour du zoo depuis 2008. Qu’ils se nomment Les Jardins, Les Hameaux ou encore Les Pagodes de Beauval… chaque établissement se tourne vers une région du monde.
Après le bien-être des animaux, le plus grand zoo de France se préoccupe du bien-être de ses visiteurs : hammam, sauna et cabines de soins leur sont proposés dans le spa. Mais le succès économique de ces hôtels est aussi dû aux séminaires qui représentent près de 25 % du chiffre d’affaires de l’hôtellerie.
Piliers du paysage touristique français, les zoos enregistrent des records de fréquentation. Depuis 2014, le zoo de la Flèche, on l’a vu, a doublé son nombre de visiteurs. En 2017, le ZooParc de Beauval, premier parc français, a presque atteint le million et demi de visiteurs.
Ils semblent vivre un âge d’or. Mais ils flirtent de plus en plus avec le parc d’attraction. Ce que critiquent nombre d’associations de protection des animaux.
Pour Franck Schrafstetter, président de l’association Code animal et opposé à la captivité des animaux, cette modernisation se fait au détriment des espèces : « On a tous les codes du parc de loisir et non plus du parc zoologique », déplore-t-il.
« La modernisation est un leurre pour continuer à attirer des gens. La tyrolienne va gêner les animaux : elle fait du bruit et le public risque de crier »
Nikita Bachelard
Face à ces critiques naissantes, les accusés se défendent. En ce qui concerne les lodges, le zoo de La Flèche considère que les espèces ne sont pas affectées par la proximité avec l’homme. « On travaille avec de nombreux éthologues qui observent le comportement des animaux. Dès l’ouverture des premiers lodges, on a eu des naissances de loups blancs. Ce qui est un signe de bien-être », précise Sandra Vivien. Même si les animaux sont largement exposés à la vue des locataires, ils ont toujours la possibilité de se mettre à l’abri des regards derrière des arbres, des rochers ou des buissons.
Quant à la tyrolienne, Matthieu Descombes réplique que « les lions n’en ont rien à faire qu’on passe au-dessus de leurs têtes, ils continuent de faire la sieste ». Il justifie cette installation en expliquant qu’elle a été réfléchie en fonction du terrain et de l’espèce : « On a choisi de mettre l’attraction au-dessus des lions. On ne l’aurait pas fait avec des hyènes. Ce sont des animaux plus discrets et peureux. »
En réalité, dans l’histoire des zoos, on a pu observer une évolution similaire. Les premiers zoos, créés plusieurs milliers d’années avant Jésus Christ, avaient pour but « de rassembler des animaux exotiques pour donner l’image de terres d’ailleurs », explique Éric Baratay, maître de conférences en histoire à l’université Lyon III.
Au XIXe siècle, les zoos privés sont alors très nombreux. La question de la clientèle devient primordiale. C’est ainsi qu’on voit apparaître les premiers « parcs d’attraction » : « Au zoo de Manchester, il y avait une patinoire, une salle de bal, des hôtels, des restaurants », poursuit l’historien.
Ils abandonneront ce modèle dans les années quarante, cédant aux critiques des associations. Ils redorent leur image en axant leur communication sur l’intérêt scientifique de leurs conservation. Aujourd’hui, l’opinion publique est moins critique, une aubaine pour les parcs zoologiques : « Tout en cultivant le secret, ils se sentent finalement libres pour revenir à ce genre d’attractions », argumente l’historien.
Pour autant, tous les zoos ne participent pas à cette course à l’attraction. Pour François Gay, petit-fils du créateur du BioParc de Doué-la Fontaine (Maine-et-Loire) et co-directeur du parc, l’objectif a toujours été de mettre en valeur la nature : « On n’a jamais cherché à faire du zoo spectacle. On n’est pas là pour dire que l’on est les plus grands et les plus forts ».
Au Bioparc, la préservation de la biodiversité est essentielle. Ici, pas d’hôtel ni de tyrolienne. « On a été les premiers en France, dans les années soixante-dix, à présenter des lions dans des enclos végétalisés, des singes sur des îles plutôt que dans des enclos », raconte François Gay.
Si les zoos sont en ce moment « sur une voie royale », Éric Baratay pense qu’ils ne pourront pas jouer éternellement de leur rôle dans la conservation. « Leur protection est une goutte d’eau dans l’océan. Lorsque cet argument-là sera épuisé, il faudra trouver d’autres solutions ». Et l’historien de s’interroger « La solution de remplacement est sans doute déjà là, avec le côté parc l’attraction… »
Perrine Basset
@PerrineBst
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En deuxième année de journalisme à l’EPJT.
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Mélina Rivière
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Théo Touchais
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19 ans
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