Rations

le combat dans l'assiette

Grâce à l’ensemble de réchauffage, un plat comme le chili con carne peut être prêt à manger en une dizaine de minutes. Photo Arthur Charlier/EPJT.

Essentielles pour la survie et l’endurance des soldats sur le terrain, les rations militaires sont bien plus que de simples repas. Parfois, les militaires font preuve d’ingéniosité pour retrouver du plaisir en mangeant.

Par Jules Bourbotte et Arthur Charlier

« Une armée marche avec son estomac » disait Napoléon. Pendant la première guerre mondiale, la ration de survie s’est imposée chez les Américains à partir de 1917. La problématique est simple : la mise en place de la logistique nécessaire à la tenue d’une cantine sur le front est complexe. L’approvisionnement n’est pas constant et les produits frais restent avant tout périssables.
Très sommaire et peu varié, le menu se compose très souvent de corned beef, de biscuits secs, de café, sucre et sel et de tabac. Cette version de la ration de survie, dite « reserve ration », est considérée comme la toute première à l’échelle individuelle. Il faudra attendre la seconde guerre mondiale pour voir arriver plus de diversité dans les rations proposées. D’une manière générale l’instauration de ration individuelle au combat est permise par la démocratisation de la conserve au 19ème siècle. Au fil de la guerre, les américains diversifient leurs rations pour adapter les besoins nutritifs des soldats aux théâtres d’opérations rencontrés. Inspirée par l’armée américaine, la ration de survie française ne se développe qu’après la guerre.

Le contenu de la ration s’échange sur le terrain en fonction des goûts et des préférences de chacun. Jules BOURBOTTE/EPJT

Par vagues successives, les rations se perfectionnent, on voit apparaître des menus sans porc pour répondre à une problématique de diversité dans l’armée. En 1986 apparaît la RCIR, ration de combat individuelle réchauffable telle qu’on la connaît à peu près aujourd’hui.

Composition d’une ration de combat individuelle réchauffable pour 12 heures. Jules BOURBOTTE/EPJT

Une version « 12 heures » existe également pour la RCIR.

Bien sûr ce régime s’adapte aux situations rencontrées par les soldats. Différents types de ration sont donc déclinables selon le contexte. Les soldats évoluant dans des milieux alpins se verront dotés de ration lyophilisées, plus légères et nécessitant de l’eau présente en quantité sous forme de neige. La ration de fête propose un repas de meilleure qualité aux soldats en mission à Noël ou Pâques. 

En cas d’urgence, « il existe une ration d’alerte, au fond du sac, précise le lieutenant Loïck. On ne peut y toucher que sur ordre, c’est spécifique à la mission ». En déplacement groupés, les soldats peuvent également se voir distribuer les sachets beurk. « C’est froid et ça porte bien son nom », résume brièvement le lieutenant Maxime.

Même si les rations françaises sont considérées comme les meilleures du monde, les soldats déployés en mission pendant parfois plusieurs mois, se lassent assez vite. « Parfois, on mange pendant trois mois des rations, se souvient le lieutenant Swan. On s’y habitue, mais on en a marre. Manger une pizza ça devient un repas gastronomique. » Les dotations en nourriture sur le terrain tendent à varier depuis plusieurs années mais de l’aveu du lieutenant Loick, « on reçoit encore parfois des palettes entières du même menu ».

Une RCIR est généralement prévue pour subvenir aux besoins quotidiens du soldat. D’un poids situé entre 1,5 et 1,75 kilogrammes, elle représente une valeur énergétique totale de 3200 à 3500 calories soit environ 1000 de plus que l’apport journalier recommandé pour un homme. Rien d’anormal comme l’explique le lieutenant Loick en évaluation au camp de Valdahon. « Sur le terrain on consomme beaucoup plus de calories qu’en temps normal. Les morphologies ne sont également pas les mêmes chez tout le monde, les besoins nutritifs sont parfois très différents. »

Le ministère des armées décrit la ration pour 24 heures comme se composant de deux plats à réchauffer et d’un hors d’œuvres ainsi que d’une multitudes de produits complémentaires.

Composition d’une ration de combat individuelle réchauffable pour 24 heures. Jules BOURBOTTE/EPJT

Allumage d’une ration de combat par le lieutenant Loick. Vidéo Jules BOURBOTTE, montage Arthur Charlier/EPJT

Complément personnels

Malgré des apports nutritionnels forts et la variété des menus, les soldats ont besoin d’ingrédients supplémentaires pour booster leur quotidien. « Au Mali, manger de la paëlla pendant un mois, c’était juste pas possible », affirme le lieutenant Loick. Dans ce genre de conditions, les troupes emmènent avec elles des « amélios ».

Ce sont des produits achetés à l’extérieur de l’opération par les soldats. « Quand je pars en mission, j’achète des trucs que je peux mettre sous mon lit ou mon armoire. Je prends souvent des M&M’s ou des gâteaux au chocolat », explique le lieutenant Ambroise. La plupart du temps, ces apports personnels contribuent à l’humeur des soldats. Parfois, ils sont pensés stratégiquement. Sur le camp de Valdahon, les jeunes lieutenants Ambroise et Loick assurent toujours penser à emporter avec eux des tortillas. Une technique qui leur permet d’y déposer la ration à l’intérieur pour en faire « une sorte de tacos », comme aime les appeler le lieutenant Loick, breton d’origine. Ces améliorations apportées sur le terrain dans les sacs à dos des soldats peuvent servir à plusieurs membres d’une troupe. Certains peuvent « acheter du saucisson et du soda pour les apéros entre copains » comme le lieutenant Loick, d’autres font le choix d’enfiler leur toque de cuisinier pour confectionner le repas pour le groupe. « Si certains se débrouillent plutôt bien en cuisine, on peut décider de mettre en commun les rations et les amélios pour faire un repas global que tout le monde pourra manger, s’amuse le lieutenant Frédéric. Une fois, on a fait un tiramisu. Visuellement ça y ressemblait mais ça n’avait pas le goût. »

Le jeu des 3 000 calories. Arthur Charlier/EPJT

En terrain, la culture du local

Les améliorations des soldats sont souvent emportées depuis le pays d’origine. C’est le cas de l’arôme Maggi, un « incontournable dans tout ce qu’on mange pendant un terrain », confie le lieutenant Kenny. Une fois les ressources vides ou les envies de changement, les militaires font bonne figure et profitent de leur déplacement pour en apprendre davantage sur la culture culinaire locale. « En Centrafrique en 2014, on allait sur le marché pour chercher des amélios. On achetait des produits locaux. On trouvait des fruits, des légumes, du poulet, du riz. Mais ça nous faisait mal aux intestins », s’en amuse encore le lieutenant Kenny.

En Centrafrique, il a même vécu la mise en place d’un marché par la force armée, un dispositif onéreux et rarement déployé. Il s’agit d’un endroit ouvert à la population locale qui souhaite aider les soldats dans leur mission en apportant des provisions. « Le but de ce marché local est de contrôler tout ce qui entre. Parce qu’on n’est jamais à l’abri de recevoir des produits empoisonnés ou avariés », détaille-t-il. Ce genre d’opérations comme celle en Centrafrique, il y 9 ans, permet aux soldats français de découvrir la culture locale. « On a voulu tester des plats du pays, des épices qui changent. On a regretté le lendemain », s’amuse-t-il.

Jules Bourbotte

@jules_brbt
22 ans.
Etudiant en journalisme à l’EPJT. Passé par, Télérama, La Voix du Nord et Le Courrier Picard. Se destine au journalisme socio-culturel.

Arthur Charlier

@ArCharlier 22 ans. Étudiant en journalisme à l’EPJT, spécialité presse écrite. Passé par Libération, Le Républicain Lorrain et SoFoot. Attiré par la cuisine et les questions de société. Aimerait travailler en presse écrite et faire des interventions en radio.