Le pilote de chasse fait rêver. Son image est idéalisée. Mais, derrière le fantasme d’une carrière dans les airs, se cache une tout autre réalité : sélection drastique, formation rigoureuse, pression mentale, rapport à la mort… Les exigences du métier ne laissent pas le droit à l’erreur.
Par Simon Abraham, Simon Bolle et Laura Cadeau
Lucas, lui, a 14 ans. Cheveux châtains, allure soignée, baskets aux pieds. Il a effectué son stage de troisième au sein de la base aérienne 705. Il est avachi sur la table. L’officier le reprend : « Attention à ton dos, il faut te tenir droit. » Et de poursuivre : « Protège bien tes yeux. C’est important d’allumer la lumière lorsque tu joues aux jeux vidéo. » Lucas est déjà bien renseigné. Il sait qu’il faut avoir une vue irréprochable. Avec 9 sur 10 à chaque œil, il se rassure.
« Je cherche une vie active et des responsabilités »
Théo, 18 ans, en pleine sélection
Hormis ces manifestations ponctuelles, c’est dans les locaux du Cirfa que les jeunes entament leur périple vers le métier de leur rêve. Il y en a dans chaque région de France. Ce sont des lieux de rencontre avec des militaires professionnels, qui renseignent sur les professions dans l’armée de l’air, répondent aux questions sur la formation et accompagnent les intéressés dans leurs démarches de candidatures. L’antenne de Tours croise des jeunes au quotidien. Ce matin, Théo et Hugo ont poussé la porte. Le premier a 19 ans. Titulaire d’un bac scientifique, il est désormais en première année de droit, « une voie de secours, si pilote ne fonctionne pas ». Hugo souhaite aussi entamer une carrière dans les airs. À 23 ans, il est titulaire d’un bac technologique et suit des études de gestion, en attendant d’entrer dans l’armée.
Ils n’en sont pas à leur première visite au Cirfa. Théo est arrivé il y a six mois, pour s’informer sur la formation du métier. C’est le capitaine Florence qui l’a accueilli et épaulé pour monter un dossier. Théo l’a présenté lors des sélections au Centre de sélection spécifique air (CSSA) quelques semaines plus tard. Il a échoué à une épreuve mais a eu l’occasion de participer aux rattrapages. Il est en attente des résultats. Hugo, lui, ne s’est pas encore présenté aux sélections. Il a un mois pour les préparer. « Il faut que je révise des tas de notions en physique, explique-t-il. Je ne suis pas passé par une branche scientifique – qui reste la voie royale. Je vais montrer qu’il n’y a pas de profil spécifique à avoir pour réaliser son rêve. »
Même son de cloche chez Jacques Gaillard qui, à 66 ans, compte 4 109 heures de vol. « C’est une profession avec une dose énorme d’action, glisse-t-il. On était toujours en mouvement et ça me plaisait. Je ne voulais pas passer ma vie derrière un bureau. » Son ami, Patrice Court-Fortune, 51 ans, a, lui, été attiré par le combat aérien. « Un avion contre un avion, c’est le duel tant attendu. Dans ces moments, il faut faire appel à tout ce que l’on a acquis, à l’intelligence, à l’instinct. Une espèce d’osmose se crée entre le pilote et l’avion. Vous avez l’impression de ne faire plus qu’un. C’est une sensation extraordinaire », se souvient-il, avec nostalgie.
L’image du pilote de chasse fascine. L’humain est tel un oiseau, bravant les lois de l’apesanteur, à bord de machines exceptionnelles qui dépassent la vitesse du son. L’illustration de l’extrême, des sensations fortes, des montées d’adrénaline. Un tryptique qui charme la société. « Cette fascination pour la profession renvoie à la notion de mythe. Le métier de pilote peut paraître contre-nature, dans la mesure où l’aviateur repousse les limites imposées à la condition humaine. Évoluant dans les airs, il peut donner l’impression de vouloir égaler Dieu », analyse Céline Bryon-Portet, sociologue et auteure de l’ouvrage La Construction de l’image du pilote de chasse.
Tout se fait en anglais, langue universelle dans le monde de l’aéronautique. « OK, mission today is to fly with an other Alphajet » (La mission, aujourd’hui, consiste à voler avec un autre Alphajet), révèle-t-il. Le moniteur liste à Julien les ordres du jour. L’apprenti pilote est attentif aux conseils. Il va devoir effectuer des figures dans les airs. Son moniteur utilise des maquettes d’avion pour lui montrer lesquelles.
Tous deux jettent un dernier coup d’œil à la météo. « Il faudra être attentif au brouillard. » Ils quittent la salle et filent se changer dans le couloir. Masque à oxygène, casque, combinaison spéciale… Une fois équipés, direction la piste. Un Alphajet les attend. Sur le chemin, Julien ne laisse paraître aucune émotion. Il est concentré.
Raisonnement logique, orientation spatiale, rapidité de perception, motivation, connaissance de l’aéronautique, culture générale, langue étrangère… Cette quantité et cette variété de disciplines effraient Hugo. Théo, qui a survécu à cette sélection drastique, le prévient : « Il y avait des sciences. Par exemple, je devais donner l’ordre des planètes dans le système solaire. En anglais, révise bien ta grammaire et ton vocabulaire. Ils aiment bien les verbes irréguliers aussi. » « Ah oui ? C’est balèze quand même », réagit Hugo, en même temps qu’il prend des notes sur son téléphone.
« Ils veulent être pilotes de combat ou navigateurs officiers de systèmes d’armes. Ce sont des professions exceptionnelles qui ne s’exercent ni par défaut ni par hasard. » C’est pourquoi ceux qui échouent fondent parfois en larmes à l’annonce des résultats. Le fantasme d’une vie s’effondre en une poignée de minutes, voire de secondes. La désillusion est telle que nous ne sommes pas autorisés à recueillir leurs impressions. « Ils sont vraiment dépités et n’ont pas le cœur à ça », justifient le capitaine et le lieutenant-colonel en charge du CSSA. Cela prouve que la remise en question est permanente. Rien n’est jamais gagné. Il faut avoir le goût de l’effort et présenter un profil très complet. »
Pablo a aujourd’hui 33 ans. Il est officier pilote de ligne à Air France depuis treize ans. Il compte à son actif 7 500 heures de vol sur Boeing 777. L’aviation civile, un choix de carrière ? Pas vraiment. « Gamin, je voulais être pilote de chasse, rembobine-t-il. Quand tu es petit, ça fait plus rêver que des gros avions. » Le voilà alors parti à l’École des pupilles de l’air, à proximité de Grenoble. Chaque année vient le rituel de la visite médicale. Pablo en profite pour faire analyser son anatomie. « J’avais un doute, comme je suis grand. Je savais qu’il y avait des tailles à ne pas dépasser. » En particulier, pour les fémurs dont les dimensions sont contrôlées. Verdict : les siens mesurent 1 à 1,5 centimètre de trop. Ce qui l’empêcherait de s’adapter au siège éjectable. Sur le coup, la déception est indescriptible. « Ça m’a emmerdé… », résume-t-il sobrement.
Outre les fémurs trop longs et le daltonisme, la longueur du buste, la forme de la tête, l’inclinaison du dos, les capacités respiratoires et l’audition entrent en jeu. « Quand on nous détecte quelque chose à la visite médicale, le choc est rude », rapporte Julien, l’apprenti pilote.
Avec un quota de cent heures de formation, les apprentis n’ont pas le droit à l’erreur. L’armée cible les profils qui assimilent et progressent vite face aux risques, comme celui de la collision. Jacques Gaillard se souvient : « Une fois, un avion s’approchait dangereusement du mien. Je croyais qu’il me voyait, mais non. C’est passé 5 mètres plus bas. Un jeune pilote apprendra qu’il ne faut jamais quitter des yeux un avion qui s’approche. »
« Si, pendant l’entretien, tu dis que larguer des bombes n’est pas trop ton truc, tu es directement recalé »
Théo, 18 ans, en pleine sélection
Au Cirfa de Tours, le capitaine Florence s’attache à cerner les profils adéquats : « Le but de ce métier n’est pas seulement de piloter. De cela, certains ne sont pas conscient. Une fois, j’ai même appris à un jeune, pourtant passionné par le pilotage, qu’il pourrait être amené à transporter un armement nucléaire. Je crois que ça l’a découragé et je ne l’ai plus jamais revu. (rires) » Théo ajoute : « La peur de tuer ? Non. De l’appréhension, oui. Il faut l’avoir en tête sans que cela ne nous prenne la tête. »
Jean-François Hummel, alors âgé de 27 ans, est à bord d’un Jaguar. Il retrace cet épisode : « Mes coéquipiers ont dû réveiller les Irakiens car lors de notre passage, une minute plus tard, ils étaient tous en place pour nous tirer dessus. » Son avion est touché par l’un des six missiles. Une partie du réacteur est arrachée et l’un des moteurs prend feu. Le pilote échappe de peu à la mort, mais reste de marbre avec le recul : « Quand j’ai largué ma première bombe, je n’ai rien ressenti de particulier. Nous avions acquis du professionnalisme grâce à la formation et nous savions quel comportement adopter face à ce genre de situation très complexe et violente. »
L’horizon artificiel fonctionne encore mais tout le reste est grillé. Pas de quoi inquiéter Jacques Gaillard : « Ça va très vite. Mais on se calme, on réfléchit, on analyse. Et on prend la bonne décision. » Parmi ces péripéties, Patrice Court-Fortune ajoute une dimension. Psychologique, cette fois-ci. « Lors d’une mission en Italie, on logeait à l’hôtel. Habillés en civil le soir, on sortait pour boire un coup et manger une pizza. Alors que, le lendemain, on enfilait nos combinaisons et on se retrouvait dans un pays en guerre. Il fallait passer de l’un à l’autre. » Gérer ce rapport à la mort et au danger n’est pas chose aisée. Si lui arrive à faire la part des choses, d’autres, eux, noient le problème dans l’alcool.
Avant de poursuivre : « Lors d’une mission, mon ex-mari a failli y rester. À sa sortie de l’avion, il s’est promis une chose : profiter de la vie. “Carpe diem”, comme on dit. Une expression qui, pour lui, a signifié faire la fête jusqu’à très tard… Même s’il fallait reprendre l’avion dès le lendemain à 8 heures. » Passer à deux doigts de la mort. En réchapper. Puis oublier. Pour mieux recommencer. Un cercle vicieux qui, petit à petit, forge un mental d’acier.
Dans la pièce principale, les apprentis pilotes et leurs moniteurs se réunissent, comme à leur habitude. Tout commence avec la couverture nuageuse du jour. En anglais, bien sûr. « Good conditions expected today, but cirrus are coming » (De bonnes conditions sont attendues aujourd’hui, mais des cirrus arrivent), détaille un instructeur. « C’est sûr que c’est un peu un vocabulaire barbare quand on vient de l’extérieur », reconnaît Julien, entre deux informations.
Quand le stock est épuisé, l’apprenti file en commission. « L’histoire peut très mal se terminer. » « Psychologiquement, il est difficile de faire face à la charge de travail, renchérit Matthieu, son moniteur. La formation est très exigeante. Les élèves pilotes ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils doivent toujours nous prouver leur valeur. C’est dur de tenir. Il faut une grande force mentale. »
Julien peut souffler, seul. Le jeune homme a les traits tirés. « C’était une heure de vol très intense. Il y a beaucoup de fatigue morale. Quand on atterrit, on se dit “ouf, c’est fini”. J’étais cuit ! » Ce n’est que maintenant qu’il peut savourer et mesurer le sentiment du devoir accompli. Rares sont ces moments de recul dans la formation. Le temps d’un instant, Julien est en train de réaliser son rêve de gamin. Il sera bientôt breveté pilote de chasse. D’ici-là, il n’aura pas le droit à l’erreur. Rien ne lui sera épargné.
Simon Abraham
@simonabrm
20 ans.
En licence pro télévision à l’EPJT.
Pigiste pour TV Tours. Souhaite s’orienter dans le journalisme magazine ou de sport.
Simon Bolle
@mashabolle
20 ans.
Licence pro presse écrite et en ligne à l’EPJT
En contrat d’apprentissage à L’Équipe.
Laura Cadeau
@llaura_lc
24 ans.
En licence pro télévision à l’EPJT.
Journaliste-rédactrice en devenir, titulaire d’un master sciences politiques.