Les dessous de la presse porno

La presse pornographique résiste malgré l’abondance et la diversité des contenus sur internet. Photos, dessins, éléments multimédia : Marine Gachet/EPJT

Reportages, critiques, interviews, éditos… On ne sʼattend pas à les retrouver dans les magazines classés X. Pourtant ils y sont, dispersés au milieu des images aguicheuses. Mais quand journalisme rime avec pornographie, la chanson nʼa pas que des airs dʼinformation. 

Par Marine Gachet

Un temps populaire, la presse pornographique a dû évoluer rapidement pour s’adapter au règne d’internet et rester dans la course.
On les a toutes et tous déjà vus. En allant acheter Le Monde ou Paris Match, ils vous ont sûrement déjà fait de lʼœil du haut de l’étagère du buraliste. Entre des revues culinaires et dʼautres sur les automobiles, on peut apercevoir Union, Hot Vidéo, Busty, Chobix… Des noms quʼon lit à peine, car sʼattarder devant risquerait de nous faire passer pour un pervers ou une femme un peu trop libérée.

Mais, au delà de leurs couvertures arborant des tétons en forme dʼétoiles, que renferment véritablement les magazines pornographiques ? Interviews, reportages, brèves, critiques de films, de livres et même éditos… On est loin du basique compagnon de masturbation que ceux qui ne les ont jamais feuilletés peuvent imaginer.

Quelques magazines pornographiques survivent malgré les lecteurs qui se font rares.
Certes, les photographies de corps nus et de pénétrations diverses et variées sont omniprésentes, mais chacun a une ligne éditoriale claire : Union publie des récits illustrés de lecteurs, Hot Vidéo passe en revue les films X et Busty met à lʼhonneur les fortes poitrines. Des identités également présentes sur internet, pour les titres qui ont opéré leur transition vers le numérique.

Les petites mains se cachant derrière les pseudos qui signent les articles ont un travail moins hors du commun que ce que lʼon pourrait penser. « Dans certains magazines, on est proche d’une organisation de la rédaction classique », explique Béatrice Damian Gaillard, chercheuse en sciences de lʼinformation et de la communication à l’Université de Rennes 1.


Décliner les angles sur la double pénétration

« Mon travail chez Union était comparable à nʼimporte quel desk web : tu restes dans ton bureau et tu regardes ce qui se passe depuis le net. Tu ne fais pas vraiment de terrain », résume James Grégoire, qui signe ses articles sous le nom de James Nicolas de Sade lorsquʼil effectue un stage de 6 mois dans la rédaction web dʼUnion en 2020.

Depuis, celui qui est passé par la rédaction web du journal Sud Ouest affirme que le rythme du magazine pornographique est particulièrement soutenu. Durant six mois, il écrit deux articles de 800 mots par jour sur le sexe avec, si possible, un mot clef particulièrement bien référencé dans les moteurs de recherche.

 

Alors quʼil débute comme journaliste chez Union, on lui explique quʼil va travailler avec les techniques de SEO (Search Engine Optimization), qui se propagent également dans les rédactions généralistes. Il doit utiliser des mots clefs afin dʼaméliorer le positionnement des articles dans les résultats des moteurs de recherche.

« On m’a dit dʼemblée que le mot clef de la semaine sur lequel on voulait être bien référencé était “double pénétration”. Jʼai passé ma première semaine à faire des articles sur ce sujet, s’amuse le jeune homme de 23 ans. Pour le coup, ça tʼapprend vraiment ce quʼest un angle, puisque tu dois décliner plusieurs papiers sur un même thème. »

Union propose depuis sa création en 1972 des courriers et photos de lecteurs.
Le terrain nʼest pas nécessairement exclu lorsquʼon travaille pour la presse pornographique. Chris Czerni, a créé Bomb Magazine en 1998 et le magazine de petites annonces sexuelles Plans X en 2015. Il couvre avec un photographe et dʼautres rédacteurs lʼactualité des évènements sur la sexualité dans toute la région des Hauts-de-France et en Belgique.
Le Dorcel magazine a été créé en 2009. Il en existe plusieurs éditions.

« Je fais des comptes-rendus des salons érotiques, le photographe fait des reportages. Il nous arrive aussi de couvrir des soirées dans des clubs libertins, et en juin on va se rendre à la Gay Pride de Lille pour faire un article », énumère-t-il lorsque nous le rencontrons à son stand au salon Erotix de Bruxelles.

Le terrain sʼinvite aussi parfois dans la rédaction du Dorcel Magazine. « Les journalistes vont souvent sur les tournages pour faire leurs articles », indique Fred Coppula, directeur de la publication des magazines Dorcel et de Chobix.

La revue de petites annonces sexuelles Plans X a vu ses ventes de la version papier chuter drastiquement avec la pandémie.
Lors de son stage à Hot Vidéo en 2012, Guillaume Oblet, actuellement journaliste web au journal luxembourgeois Le Quotidien, affirme avoir appris les bases de son métier. « Jʼai découvert la profession de journaliste là-bas. Jʼy ai appris des rudiments que jʼutilise encore aujourdʼhui comme la façon de hiérarchiser lʼinformation et la règle des 5W », affirme-t-il. Cʼest comme ça quʼà 22 ans, il réalise une de ses premières interviews avec une interlocutrice de choix : une cam girl.
  
Il effectue aussi une veille quotidienne en suivant des fils info américains dédiés au porno, comme AVN. Il reprend également des communiqués de presse qui viennent de studios de films X français et garde un œil sur les réseaux sociaux des actrices et des producteurs.

« Quand il nʼy avait pas beaucoup dʼactu, je devais piocher un film X dans un bac plein de DVD et faire une critique, ce qui me faisait beaucoup rire », se remémore Guillaume Oblet avec un soupçon de nostalgie, même sʼil pense que le fonctionnement du journal a dû changer depuis son rachat par lʼentreprise Jacquie & Michel en 2016. À ce jour, ni Hot Vidéo ni Jacquie & Michel n’ont répondu à nos sollicitations.

 

Hot Vidéo a longtemps été leader de la presse X mais a été racheté par Jacquie & Michel en 2016.
Cette expérience le pousse à arrêter ses études en conception de sites internet pour se consacrer au journalisme. Car journaliste, c’est comme cela que se considèrent ceux qui écrivent pour les magazines pornos.

Cʼest même la volonté de lʼêtre qui a poussé Guillaume Oblet et James Grégoire à envoyer leur CV pour travailler dans ces revues. « Je faisais la prépa La Chance pour entrer dans une école de journalisme, et tout le monde avait un stage sauf moi. Jʼai vu une annonce passer pour un stage à Union sur les réseaux sociaux et jʼai postulé », se souvient ce dernier.

Des CV qui excitent la curiosité

Quentin*, actuellement en stage pour six mois à Union, est également arrivé dans le secteur un peu par hasard. « J’avais choisi Union par faute de choix. Je devais obtenir un stage avant une date imposée. Union sʼest présenté, et au final, cʼest une expérience incroyable », admet l’étudiant en cinéma qui se souvient notamment dʼun article sur la scatophilie quʼil a écrit pour Noël. Sʼil nʼexclut pas de retravailler un jour pour une revue pornographique, il espère poursuivre sa carrière dans la presse dédiée au 7ème art. 

Ceux qui sont passés par la case « magazine porno » nʼont pas de mal à se vendre en tant que journalistes à dʼautres employeurs. Guillaume Oblet est passé par le data journalisme avant dʼévoluer dans la presse quotidienne régionale. James Grégoire, lui, est actuellement en alternance à Mediapart. « Quand on voit cette expérience à Union dans mon CV, ça suscite la curiosité », souligne celui aimerait devenir reporter de guerre.

« Lorsque jʼai passé mon entretien après Hot Vidéo pour faire un master en journalisme, on ne mʼa posé presque que des questions sur ça », se remémore Guillaume Oblet.

Actuellement, les rédacteurs qui travaillent pour les revues pornographiques ne peuvent pas obtenir leur carte de presse. Cela ne les empêche pas de se revendiquer journaliste, comme le rappelle James Grégoire.

Du côté de Dorcel, Fred Coppula assure que les rédacteurs se définissent comme journalistes et ont même parfois fait une école en ce sens. Ce nʼest pas tant le thème du sexe sur lequel ils travaillent qui pose problème, mais bien les services qui sont proposés par les magazines qui les emploient.

Quand il appartenait au groupe Lagardère, Union permettait à ses journalistes dʼobtenir leur carte professionnelle. Mais le magazine et sa version numérique nʼauraient tout simplement pas renouvelé de demande dʼenregistrement auprès de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) au moment de leur acquisition par Reworld Media en 2014.

Le fait quʼUnion offre désormais des services comme la production de films pornographiques, un site de rencontre, des live cam et des images explicites dans ses récits érotiques illustrés lʼempêcherait dʼobtenir cette reconnaissance.

« Le service ne doit pas contenir des propos ou images de nature à heurter la sensibilité des internautes […] en particulier lorsqu’ils présentent un caractère violent ou pornographique », peut-on lire sur le site de la CPPAP parmi les conditions pour être reconnu comme un service de presse en ligne.

Cette multiplication des activités écarte parfois radicalement les rédacteurs de leur travail de journaliste.

Les membres des rédactions, souvent petites, sont généralement multi-tâches. Chez Hot Vidéo, la matinée de Guillaume Oblet commençait toujours par la publication dʼune vidéo pour adulte.

« Je devais faire le montage dʼune scène dʼun film que des producteurs avec qui on travaillait nous envoyaient. Jʼajoutais le logo Hot Vidéo, une intro, un écran de fin, je choisissais des photos pour résumer la scène sur le site du journal et jʼécrivais quelques phrases pour donner aux lecteurs envie de regarder la vidéo », relate-t-il en se rappelant les termes particulièrement vulgaires et racoleurs quʼil devait écrire.

En 2012, Alan Deprez a travaillé six mois à Hot Vidéo. À côté de son travail de rédacteur, il doit ajouter des sous-titres français aux films X américains, dont les DVD sont ensuite vendus avec le magazine. En raison de son bagage dans le milieu du cinéma, il travaille aussi pour la plateforme VOD et la chaine télévisée du magazine. Cela le conduit à filmer quelques reportages qui sʼapparentent plus à des scènes pornographiques quʼà du contenu journalistique.

De son côté, Plans X organise des soirées dans des clubs et est distribué en même temps que des stimulants sexuels dans les salons érotiques où se rend Chris Czerni, qui tire son chiffre d’affaire de ces différentes activités.

Le cul entre deux chaises

Travail journalistique ou promotionnel ? Sʼil se sentait journaliste quand il écrivait ses articles pour Hot Vidéo, Alan Deprez reconnaît qu’à certains moments, il faisait plutôt un travail de promotion que dʼinformation : « Parfois je devais écrire des articles promotionnels, sur du contenu gonzo que je ne validais pas. Dans ces moments-là, jʼutilisais mon pseudo. »

Les entreprises de lʼindustrie du X lʼont bien compris : les magazines sont de véritables vitrines. Jacquie & Michel et Dorcel ne se sont pas privés dʼavoir les leurs et éditent plusieurs magazines à leurs noms respectifs. « Ces titres développent une offre éditoriale intermédiaire, entre promotion et journalisme », écrit Béatrice Damian Gaillard, dans un article intitulé L’Économie politique du désir dans la presse pornographique hétérosexuelle masculine française.

 

Fred Coppula ne cache pas le but communicationnel des magazines Dorcel. Il y a une trentaine d’années, le fameux réalisateur et producteur de films X crée le magazine Chobix. La nouveauté : il est écrit par des actrices pornos. Et il cartonne.

En 2009, il convainc Dorcel de lancer son propre magazine. « Cela nous permettait de communiquer comme on voulait. Et à lʼépoque on avait le droit dʼêtre affiché sur les kiosques, cela nous permettait de faire de la publicité pour Dorcel là où on nʼavait pas le droit dʼen avoir », reconnaît-il.

À cela sʼajoutent les DVD introduits dans la jaquette des magazines, qui permettent aux lecteurs de faire un premier pas vers les films produits par Dorcel.

Promouvoir la marque Dorcel et ses films : voilà le but assumé du magazine. Une fonction qui permet la survie de la revue, dont les ventes ont été divisées par huit depuis sa création.

Inutile de préciser que la reconnaissance de ce genre de magazine par la CPPAP, dont une des conditions est de « ne pas apparaître comme étant l’accessoire promotionnel d’une activité commerciale ou industrielle », est impossible. Tout comme lʼest l’obtention de la carte de presse pour les personnes qui y écrivent.

Au salon Erotix de Bruxelles, le 26 mars 2022, les photographes sont présents pour immortaliser le spectacle.
Au salon Erotix de Bruxelles, le 26 mars 2022, Chris Czerni distribue son magazine Plans X en même temps qu’il vend des stimulants sexuels.

Si aujourd’hui la plupart des consommateurs de pornographie se rendent exclusivement sur internet, quelques uns sollicitent encore les magazines.

Là encore, les rédacteurs ont plusieurs casquettes. Dʼabord en travaillant également pour le magazine Chobix, dont Fred Coppula est toujours directeur de la publication, puis en exerçant une autre activité pour Dorcel. Seuls le rédacteur en chef et le maquettiste nʼont pas dʼautre fonction.

« Dans notre secteur dʼactivité, on a appris à maitriser la synergie. Parmi nos rédacteurs, il y a une femme dʼune cinquantaine dʼannées. Avec son expérience, on lui a également demandé dʼaider sur les tournages et de conseiller les actrices quand elle va en reportage », raconte Fred Coppula. Impossible donc pour les journalistes de ne pas faire de promotion, étant à la fois commentateurs et acteurs des sujets quʼils couvrent. 

« Hot Vidéo est devenu une pub pour Jacquie & Michel »

Jérôme, lecteur de magazines X

Cette fonction des magazines nʼest pas vue dʼun bon œil par tous les lecteurs. Jérôme*, qui a longtemps été abonné à Hot Vidéo a été témoin de son passage aux mains de Jacquie & Michel. «  Hot Vidéo était un magazine professionnel de cinéma pour adulte. On nʼachetait pas ce magazine pour se masturber, mais bien parce quʼil traitait du cinéma X comme un magazine de cinéma classique, se remémore-t-il. Depuis que Hot Vidéo a été racheté, cʼest devenu une pub pour Jacquie & Michel et les films qui vont avec le magazine sont bons à mettre à la poubelle. »

Quant au Dorcel Magazine, Jérôme lʼa acheté plusieurs fois, surtout pour les DVD.

*Les personnes interrogées ont souhaité garder l’anonymat.

Pour aller plus loin…

Marine Gachet

@marine_isnath
24 ans.
Étudiante en journalisme à l’EPJT, alternante en presse écrite à Vosges Matin.
Passionnée par les sujets de société, particulièrement par les sujets liés aux droits des femmes et aux discriminations.
A affiné ses compétences à La Nouvelle République.
Aimerait raconter les histoires de notre société à travers l’écrit, des podcasts et des vidéos créatives.