À l’armée, le sport occupe une place de premier plan et nécéssite une force mentale pour faire face à toute épreuve. Crédits : Edgar Ducreux/EPJT
Qui dit armée dit sport. Pour être apte à combattre et à réagir comme il le faut sur le terrain, les militaires multiplient les activités sportives à l’entraînement. En complément de ce travail physique, l’armée de terre développe également de plus en plus des exercices de préparation mentale, essentiels pour être capable de se surpasser et d’appréhender de façon optimale les situations les plus délicates.
Par Edgar Ducreux et Maëva Dumas
Sur les hauteurs de Valdahon (Doubs), le soleil vient de se lever et la végétation est encore verglacée. Au milieu d’une plaine parsemée d’arbres et d’appareils militaires, lieutenant Titouan court. « Le sport est un critère de sélection. Nous devons être en forme pour pouvoir enchaîner les contrats et rester dans l’armée », explique le saint-cyrien, amateur de tennis.
Si les séances de course à pied se font souvent par groupe ou par binôme, le jeune homme, venu passer un mois dans le camp militaire de la région, parcourt ce matin les chemins doubistes seul. « Cette semaine, je réalise le planning de la division, j’ai gardé un moment pour pouvoir aller courir ce matin », dévoile l’élève de la division d’application (DA) du matériel de l’école de Bourges.
Le sport au centre de l’éducation militaire
Si le lieutenant Titouan tient tant à sa séance de réveil musculaire, c’est parce qu’entretenir une bonne condition physique est essentiel pour un militaire. « Tous les ans, les élèves ont une épreuve de natation, un parcours d’obstacles et une course de 2.400 mètres à valider. Chaque épreuve est notée entre 1 et 5 et l’on considère qu’à partir de 4, l’examen est réussi », explique le commandant Florian Mazauric, encadrant à l’école militaire de Bourges.
Pour atteindre les objectifs visés et être en capacité de mettre le travail physique au service des missions, l’école militaire de Bourges est dotée d’un bureau des sports, composée de professeurs spécialisés, comme le sergent-chef Alexis. Formé au civil, celui-ci est désormais enseignant à l’Armée de terre. Grâce à lui, les lieutenants-élèves de l’école militaire de Bourges apprennent notamment des techniques de combat de corps à corps et à franchir divers obstacles qu’ils pourraient retrouver en pleine nature. « Ce module s’appelle la piste d’audace parce qu’il faut de l’audace, de l’engagement pour passer les obstacles, explique le sergent-chef. Nous préparons les soldats pour qu’ils ne bégaient pas devant l’un d’entre eux et fassent un refus de saut. »
Pour aider les élèves dans leur pratique sportive, un délégué des sports, qui agit comme un relais avec le bureau des élèves, est élu dans chaque division. « On aime aller au-delà de nos limites mais il ne faut pas non plus chercher trop loin pour éviter les blessures. J’expose le ressenti général des élèves, je suis le fusible qui permet parfois de calmer le jeu. Il y a des échéances pour lesquelles on ne peut pas être fatigués », détaille lieutenant Christophe, délégué des sports de la DA du matériel de Bourges.
Entré dans l’armée de terre il y a douze ans en tant que militaire du rang avant d’être élevé au grade de sous-officier puis à celui de lieutenant, le lieutenant Christophe, issu d’une famille de militaires et qui s’est engagé dans l’Armée de terre par « amour du pays », n’est pas arrivé à ce poste de délégué par hasard. « Je suis né dans le sport, j’ai fait beaucoup de football au niveau régional en Lorraine et je pratique désormais la course à pied », développe le traileur de haut niveau et récent troisième du Tour du lac de Bourges.
Fort de son expérience, le délégué des sports propose régulièrement des activités sportives en complément de celles imposées par l’école. « Je peux demander une séance de cordes ou de corps à corps pour ceux qui le veulent. On pratique aussi des sports collectifs comme des matchs d’ultimate ou de volley qui permettent de renforcer la cohésion du groupe. On ne peut pas tout faire non plus, certaines activités, comme le fractionné en course à pied, doivent être encadrées par un membre du bureau des sports. »
Le mental, l’autre combat
Au-delà de l’affûtage physique, la préparation mentale se développe de plus en plus au sein de l’armée de terre. « Les techniques de sophrologie sont beaucoup utilisées dans l’armée depuis les missions en Afghanistan et au Mali, au cours desquelles les militaires étaient nerveux et dormaient très peu, explique le lieutenant Christophe. Il s’agit de techniques d’optimisation psychiques comme des cours de sophrologie qui permettent de déconnecter certaines parties du cerveau pour en reconnecter d’autres et chercher l’énergie plus loin. Il y a par exemple des astuces pour faire des micro-siestes, qui remettent le disque dur à zéro et que j’utilise aussi beaucoup dans le trail. Si le cerveau est saturé, on n’avance plus. »
Même si ces exercices se démocratisent, leur pratique reste encore principalement basée sur le volontariat. « Il y a au moins un intérêt psychologique ; si ça aide il faut y aller sans se poser de question. La salle délimite aussi le nombre de personnes, on peut être deux comme quatre-vingts », développe le délégué.
Entre pression et ambition
L’importance d’un mental à tout épreuve présent chez chaque militaire, et notamment chez les lieutenants femmes.
Conscientes d’un certain décalage physique biologique vis-à-vis de leurs collègues masculins, ces dernières ne sont pour autant moins endurantes. « On se donne obligatoirement plus en sport parce qu’on veut être au même niveau que les hommes. Ça demande beaucoup de force mentale et ce n’est pas toujours évident mais on est toutes très déterminées » confie le lieutenant Clara.
Une volonté de dépassement de soi qui exprime également une certaine pression qu’elles sont nombreuses à endurer. « En tant que femme, on ne veut pas être résumées à nos capacités. On est avant tout des soldats et on veut être évaluées et considérées en tant que tels » souligne la militaire.
Ce souhait d’égalité, porté par une puissante ténacité, permet par ailleurs à certaines d’entre elles de faire face à des difficultés qui leurs sont propres, comme la reconquête de leurs capacités physiques après une grossesse.
« À l’armée, le sport à une place très importante et quand on a été enceinte, ce n’est jamais évident de se remettre à niveau. On a des séances de sport mais on fait aussi des choses que nos collègues hommes ne voient pas vraiment comme la rééducation du périnée ou encore de la récupération abdominale à travers ses séances de respiration. C’est un côté de la vie des femmes militaires auquel on ne pense pas nécessairement et pourtant, ça a une place importante dans nos vies et notre métier » rappelle le lieutenant Aline.
Crossfit, course à pied, natation, sports collectifs, salle de musculation, les militaires varient les activités sportives pour maintenir leur condition physique tout en gardant à l’esprit que leur rôle en tant que lieutenant ne se résume pas uniquement à cela.
« Personnellement je ne m’inflige plus cette pression dans le sport. Il est primordial certes, et j’aime en faire, mais un bon lieutenant c’est aussi quelqu’un qui fait travailler son cerveau et qui sait diriger un groupe. L’un ne va pas sans les autres » résume le lieutenant Clara.
Certains lieutenants déjà habilités à former
L’encadrement d’une section se faisant en parallèle de leur formation sportive en tant qu’élèves, les lieutenants mécaniciens devront être capables d’encadrer des séances de sport lorsqu’ils seront à la tête d’une unité d’une trentaine d’hommes et de femmes, dès leur sortie de l’école militaire de Bourges, l’été prochain.
Parmi eux, beaucoup ont déjà effectué des stages. C’est notamment le cas de plusieurs lieutenants qui ont participé à une piste d’audace encadrée par le sergent-chef Alexis, vendredi 17 janvier 2025. L’un d’entre eux, qui a ouvert un obstacle de traversée sur une corde, a réussi un stage au Centre national d’entraînement commando (Cnec) et obtenu le brevet de moniteur des techniques commandos, qui lui permet d’encadrer des séances de franchissement ainsi que des parcours d’audaces.
« C’est un stage sur quatre semaines, qui se déroule entre Collioure et Mont-Louis (Pyrénées-Orientales). À la fin, il y a plusieurs résultats possibles : aguerrissement, qui certifie simplement que le stage a été effectué, moniteur, ou moniteur avec aptitude instructeur. Lorsque l’on parvient à décrocher ce dernier, on peut passer au niveau supérieur et effectuer un autre stage de quatre semaines », précise-t-il.
La piste d’audace entraîne les militaires à appréhender les obstacles qu’ils pourraient rencontrer en mission. Crédit : Edgar Ducreux/EPJT.
Le Cnec propose en effet plusieurs stages aux militaires de l’armée de Terre. En fonction de leurs régiments d’appartenance ou de leurs écoles, les stagiaires peuvent recevoir différents brevets. Celui passé par le lieutenant correspond au deuxième niveau et l’autorise à effectuer le stage pour devenir instructeur des techniques commando, qui est le troisième et dernier niveau.
À l’ère des nouvelles technologies et malgré l’apparition de guerres numériques, le sport reste donc un socle commun très important pour tous les militaires de l’armée de terre. Les mécaniciens de la DA du matériel de Bourges en font une priorité, conscients des situations délicates dans lesquelles ils pourraient se retrouver au cours d’une mission. « On doit avoir une condition physique optimale pour être en mesure de courir rapidement tout en ayant de la force et être capable d’évoluer avec un sac lourd et une mitrailleuse de plus de 10 kgs pendant 30 à 40 kms. Si on est trop fin ou trop corpulent, c’est compliqué », illustre le lieutenant Charles-Antoine, saint-cyrien et élève à la DA du matériel de Bourges.