Le lieutenant Louis porte sa médaille de baptême sous son treillis. Photo : Clara Lebarbey/EPJT.
Catholiques, protestants ou musulmans, plusieurs lieutenants en formation de l’École militaire de Bourges ont une attache spirituelle. Ils expliquent leur relation à Dieu quand d’autres affirment une incompatibilité entre les valeurs religieuses et militaires.
Par Clara Lebarbey et Marie-Mène Mekaoui
L’armée est un système cadré. La popote est le lieu d’exception. En janvier 2025, l’hiver est bien installé dans l’Est de la France. Si les militaires semblent être accommodés au froid, ils se réfugient à la popote lors des moments de répits. Un espace informel où ils jouent aux fléchettes, enchaînent les bières, rigolent. Preuve en est, certains comme Michel-Antoine abandonnent le treillis et endossent le survêtement bleu marine aux bandes rouges de l’armée de terre.
À la popote, les langues se délient aussi. On peut parler de sujets intimes, même de religion. Michel-Antoine perpétue l’héritage familial. Son paternel était aussi militaire. Il quitte l’Inde et s’enrôle dans la Légion espagnole en 1971, avant de rejoindre l’Hexagone et sa Légion étrangère en 1994.
Frise chronologique de l’histoire de la religion dans l’armée. Réalisation : Clara Lebarbey/EPJT.
zLunettes rectangulaires sur le nez, front dégarni, l’homme de 25 ans paraît réservé aux premiers abords. « Vous êtes croyantes ? » Par souci de compréhension et d’interprétation, Michel-Antoine retourne la question. Il s’assure que ses interlocutrices saisissent son propos. Après une réponse positive, le militaire se détend.
« Par rapport à d’autres camarades, je suis content d’avoir cette assise spirituelle », explique Michel-Antoine. Né dans une famille catholique, il cultive notamment sa foi avec la littérature religieuse. En ce moment, sur sa table de chevet, repose un roman sur la vie de Saint Martin, évêque de Tours au IVe siècle.
Ce catholique pratiquant va régulièrement à la messe mais préfère rester discret sur sa fréquence de prières. « C’est personnel, mais dès que je peux j’y vais. Soit je reste dans mon canapé, soit je me bouge et je vais à la messe », raconte-t-il d’un ton moralisateur.
Il parle sans s’interrompre des racines chrétiennes dans l’armée et de spiritualité religieuse. « Si j’imagine que je devais tuer une personne, je pourrais le faire, car c’est dans le cadre de mon métier. Mais à aucun moment je dois m’en vanter ou être fier, explique Michel-Antoine. L’armée française est plus morale que celle des Américains, ici on respecte les morts. » Interrogé sur la bavure de l’armée française au Mali en 2021, il justifie : « Ce sont des cas isolés. »
« Tu ne peux pas prier et porter une arme »
D’autres militaires n’ont pas cette attache spirituelle. C’est le cas de l’adjoint chef Franc. Malgré sa discrétion, sa présence est imposante. Pour preuve, sa poignée de main ferme. Il fait partie des anciens. Il s’est enrôlé dans la Marine, en 1991. Il venait d’atteindre sa majorité. Tchad, Cameroun ou Liban, en tout il a neuf « opex » (opération extérieur) à son actif.
L’homme ne croit pas en Dieu : « Je crois en moi et mes capacités, c’est tout. » En opération, il ne pense pas à la mort. « On nous prépare pas à ça. On pense à revenir », raconte-il. Il s’interroge sur L’Au-Delà et l’après mort. Mais pas suffisamment pour appartenir à une religion. Treillis sur les épaules, il est cru dans ses propos. Les valeurs religieuses et militaires sont incompatibles. « Tu ne peux pas prier et porter une arme, analyse-t-il avant d’ajouter, la religion c’est fait pour faire la paix, pas pour faire la guerre. »
Virgile, lieutenant en formation, partage la vision de Franc. Quand les catholiques lui disent que « tuer c’est pêcher, sauf dans le cadre du métier », il ricane. Être catholique et militaire, c’est incompatible. Quand l’homme de 29 ans ne va pas bien, il se tourne vers sa famille et ses amis. Il n’a pas besoin de croire à une force supérieure. Le lieutenant va même plus loin : il ne voit pas l’utilité de la foi à notre époque « avec les preuves et les réponses scientifiques aux mystères de la vie ».
Le lieutenant Kenny se dit non croyant. « Je ne suis absolument pas fermé aux religions. Mais je n’ai pas encore vécu de choses spirituelles qui pouvaient me tendre à croire en une religion. » Même s’il n’a pas eu de déclic, il n’est « pas fermé aux croyances ».

Le lieutenant Swan cache son chapelet dans la poche de sa veste de treillis. Photo : Clara Lebarbey/EPJT.
Pour les lieutenants Michel-Antoine et Louis, la religion est un soutien dans les épreuves qu’ils traversent au quotidien. Ils ont aussi d’autres points communs. C’est au sein de l’institution que leur foi s’est renforcée. Au lycée militaire d’Autun, Michel-Antoine a rencontré des élèves croyants. Ils l’ont aidé à consolider sa confession.
Au contraire, le lieutenant Louis avait délaissé la religion à l’adolescence et a retrouvé la foi auprès de camarades croyants à Saint-Cyr Coëtquidan, école spéciale militaire. « Cela s’est fait naturellement, autour de discussions entre amis le soir. J’étais curieux. Dès que j’avais un doute, ils répondaient à mes questions. Puis je les ai accompagnés à la messe et maintenant je prie régulièrement. » Le lieutenant Louis fera sa confirmation, un des sept sacrements du christianisme, en juin 2025.
Parmi les lieutenants chrétiens de l’École militaire de Bourges, on constate une certaine jeunesse : ceux interrogés ont entre 23 et 25 ans et sont très pratiquants. Ils cachent chacun un signe religieux sous leur treillis ou dans leurs poches. « On respecte la loi de 1905 », se justifie le lieutenant Guillaume, protestant. La loi du 9 décembre 1905 sépare les Églises et l’État et « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions » (Art 28, Legifrance).
Pour Guillaume donc, c’est une croix huguenote autour du cou, pour Louis, sa médaille d’or de baptême représentant Saint Louis, et pour lieutenant Swan, un chapelet dans la poche de sa veste de treillis.
Les lieutenants Michel-Antoine, Nasser et Louis de l’École militaire de Bourges sont tous les trois croyants.
Photo : Clara Lebarbey/EPJT et Marie-Mène Mekaoui/EPJT.
Au sein de l’armée, d’autres religions sont représentées. Le lieutenant Nasser est musulman. Qatarien, il est arrivé en France en août dernier pour se former à l’École militaire de Bourges. Pour lui, l’armée était un rêve d’enfant. À 36 ans, il suit le chemin de son père, général dans l’armée de l’air du Qatar.
Être calme, confiant ou savoir respecter le temps, il voit dans la pratique de l’islam des valeurs intrinsèques à celles de l’armée. Le lieutenant à la barbe bien taillée – le seul à en avoir une, car les lieutenants français ne sont pas autorisés à la garder – ne trouve « pas de difficulté » à pratiquer sa religion au sein de l’armée française. Il a tout de même dû réadapter ses pratiques. Tous les vendredis, il se rend à la mosquée de Bourges pour la prière du jumu’a, la grande prière hebdomadaire, avec ses deux autres camarades musulmans. Dans son pays, il s’y rendait tous les jours.
Être militaire, c’est prendre conscience que l’on peut mourir à tout moment. Il appréhende la Akhira, l’Au-Delà. « Il faut être une bonne personne pour l’après mort », explique-t-il en arabe.
Les aumôniers militaires en France. Réalisation : Marie-Mène Mekaoui/EPJT.
Le Qatarien, plutôt discret, ne s’exprime qu’en anglais et en arabe. Il redoute l’approche du ramadan. Ce mois qui consiste à jeûner du lever au coucher du soleil débute fin février. Il envisage de parler à sa hiérarchie pour aménager ses horaires. En ce qui concerne la nourriture sur le camp militaire, des rations « sans porc » sont préparées. Mais elles n’ont pas la certification halal ou casher.
Lors de son arrivée à l’École militaire de Bourges, Lieutenant Nasser a été accueilli par un aumônier musulman. Il a échangé deux fois avec lui depuis le début de son séjour. Il existe aussi des aumôniers juifs et chrétiens. Dans les institutions dites fermées, comme les bâtiments de l’armée, l’État autorise, et parfois finance, la présence d’aumôniers qui garantissent la liberté de pratique des cultes.
Dans le couloir qui mène à la popote, une feuille est accrochée sur le tableau d’affichage. Elle a pour titre « Aumônerie militaire ». Les neuf commandements de l’aumônier chrétien y sont inscrits.

Clara Lebarbey
@claralbrb
23 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT et alternante à Ouest-France à Saint-Lô et Avranches.
Passée par La Manche Libre.
Passionnée par l’histoire, la politique et les sujets littéraires et sociétaux.

Marie-Mène
@MarieM_MEK
22 ans.
Journaliste en formation à l’EPJT, spécialité presse écrite.
Passée par le Bondy Blog, Libération, La Nouvelle République
Intéressée par les sujets internationaux (Moyen-Orient et Maghreb) et de société.
Aspire à être correspondante dans un pays du Moyen-Orient ou au service société de Libé.