Malgré les menaces des chrétiens intégristes, Jex Blackmore porte la voix des membres du Temple satanique aux États-Unis depuis maintenant plus d’un an. Un drôle de nom qui cache une réalité plus complexe : et si le Temple satanique était bien plus qu’une simple bande d’adorateurs du diable ?
Texte : Brice Bossavie.
Photo : Brice Bossavie et Chris Switzer pour Society Magazine
Article initialement publié dans Society Magazine n° 23 (décembre 2015).
« Vraiment, c’était une soirée fantastique », s’enthousiasme Jex Blackmore quelques jours plus tard, dans un bar perché au dernier étage d’un manoir gothique de Midtown, le quartier branché de Detroit. Les cheveux en bataille, les chaussures, le col roulé et le rouge à lèves noirs, la porte-parole nationale du Temple satanique retrousse les manches de son pull : sur ses deux poignets, les mots blood (sang) et brains (cerveaux) sont tatoués en noir. Des concepts de la bible satanique : là ou la religion célèbre le corps et l’esprit, les satanistes ne se focalisent que sur le corps. Un peu plus haut, la figure de Baphomet, personnage clé de la mythologie satanique, s’étend sur toute la partie supérieure de son bras droit, accompagné d’une phrase : « L’obédience n’est que paresse. »
A la soirée d’Halloween du Temple Satanique, au Leland Club
Pendant ce temps, sur Fox News, un invité déclare en direct qu’il faut « abattre » les membres du Temple satanique. La rédaction s’excusera en direct quelques jours plus tard. Jex Blackmore, qui a commencé à frayer avec le milieu punk/métal de Detroit à ses 17 ans, resitue aujourd’hui le débat : cela n’a rien de religieux. L’action du Temple satanique serait, en réalité, davantage « militante et politique ». « Contrairement à ce que certains peuvent penser, nous n’adhérons pas à l’existence de Satan en tant que tel. Nous le voyons plus comme une figure allégorique, un symbole des libertés individuelles de chacun : être satanique au sein du Temple revient à respecter les opinions et les religions des autres, sans imposer ses règles et ses principes. »
Source : http://thesatanictemple.com/about-us/tenets/
Cible principale : les intégristes chrétiens. Que ce soit à Detroit, en arrosant de lait ses membres sous les yeux consternés de manifestants anti-avortement, ou en Floride, en distribuant des livres de coloriages sataniques devant une école ayant autorisé des religieux à distribuer des Bibles aux enfants, l’Amérique puritaine se retrouve régulièrement dans le viseur du Temple.
« Nous ne sommes pas de simples trolls grandeur nature, soupire Jex Blackmore. Tout ce que l’on fait est réfléchi, et a un message précis. C’est juste nos moyens d’action qui sont différents de ce qui se fait habituellement. On veut sortir les gens de leur petit confort, les amener à réfléchir. »
Jex Blackmore se définit comme une « rebelle ». Normal, elle vient de Detroit. « Dans celle ville, à travers les époques et les différentes crises, les communautés en marge ont toujours fait entendre leur voix, notamment par l’art. C’est quand même la ville de la Motown et du MC5. »
Et puis il y a son père, responsable d’un funérarium, qui emmenait sa fille avec lui lorsqu’il faisait le « tour des églises », comme elle dit. « J’ai été en contact avec la religion dès mon plus jeune âge par mon père. Ça m’a permis de très vite réfléchir à ce qu’était la foi, Dieu, et tout ce qui l’entoure. » Elle a été élevée dans une famille athée. Mais elle s’est s’inscrire au catéchisme « par curiosité ». Mauvaise pioche. « Au catéchisme, on tentait de nous faire sentir coupables de tout et de n’importe quoi. Je me posais trop de questions : pourquoi nous dire que la masturbation était mal ? Pourquoi nous interdire certaines choses ? Pourquoi ne pas être libre de faire tout ce qui semblait bien pour nous? »
Jex Blackmore, qui travaille dans le milieu de l’art, a l’habitude, quand elle relève ses mails, de voir s’afficher des messages agressifs envers elle. « Je ne compte plus les mails de menaces et les commentaires de haine sur les réseaux sociaux », dit-elle sans sourciller. Avant de finalement se confier : « J’ai honnêtement beaucoup réfléchi avant d’accepter mon rôle de porte-parole. Cela signifiait beaucoup de contraintes : je mène par exemple une double vie, entre mon travail et mon engagement avec le Temple. »