Photo : Denis Maljean / EPJT. Jean-Marie Beffara pendant le service du midi de La Fabrique locale,
le vendredi 28 mars 2025, un œil en salle et l’autre en cuisine.

Quand il a fondé La Fabrique locale, dans la zone d’activités du Node Park Touraine à Tauxigny, avec son ex-colaboratrice Ludivine Antigny et le chef cuisinier Nicolas Moghraoui, l’ancien député socialiste de la 3ème circonscription d’Indre-et-Loire Jean-Marie Beffara refusait catégoriquement de parler de sa reconversion professionnelle. Cinq ans après l’ouverture du restaurant d’insertion, stoppée une semaine après son lancement par la pandémie mondiale de Covid-19, le désormais associé salarié de la SCOP (société coopérative et participative) souhaite « avant tout fêter des beaux parcours » : ceux des quinze salariés sur dix-huit déjà accueillis. « Ils sont partis d’ici avec une solution de formation, un emploi ou un départ en retraite car on a aussi le droit de bien terminer sa carrière », revendique l’entrepreneur de 62 ans qui n’envisage pas de mettre fin à la sienne.

Rendez-vous est fixé à La Fabrique locale un jeudi en fin de journée. La place est déserte. Comme tout restaurant inter-entreprises classique, il sert quotidiennement une quarantaine de couverts le midi en semaine. Après avoir traversé une grande salle pyramidale d’une capacité d’accueil de 150 personnes (lors des réceptions sur réservation), place est prise autour d’une petite table de bistrot, sous la verrière adjacente baignée des premiers rayons de soleil printaniers. Jean-Marie Beffara semble y apprécier le calme ambiant. Taiseux de nature, l’homme a toujours préféré causer de ses actions que de s’épancher. Sourire dans la barbe, « je prendrai bien une petite bière ». Elle provient de la brasserie installée dans l’entrepôt voisin. La Fabrique locale a aussi pour vocation de valoriser les produits locaux.

« La lutte contre les exclusions et pour l’égalité des chances »

Originaire de Châteauroux (Indre), où le nom de son grand-père Alphonse Beffara figure sur la plaque commémorative des agents de la SNCF « tués par faits de guerre 1939-1945 », et diplômé de l’IUT carrières sociales à Tours, Jean-Marie Beffara a d’abord évolué dans le secteur de l’éducation populaire, au sein de foyers de jeunes travailleurs et de centres sociaux. Après une quinzaine d’années d’exercice, il ne souhaite plus seulement accompagner mais bien participer à penser les politiques sociales. « Suite à la campagne électorale des élections législatives de 1997, il m’a proposé sa candidature d’assistant parlementaire, se rappelle Marisol Touraine qui venait alors de ravir son premier siège de députée (1997-2002). Jean-Marie n’avait pas le profil classique d’un militant « apparatchik », il avait les pieds dans la vraie vie, des convictions et l’envie de s’engager ». S’en suivent vingt années d’une fidèle collaboration.

Au gré des victoires et défaites électorales de la gauche, Jean-Marie Beffara entame alors sa propre carrière politique. Il est élu tour à tour conseiller municipal de Loches (2001-2012), conseiller régional (2004-2015) puis vice-président de la région Centre-Val-de-Loire (2012-2015). Suppléant de Marisol Touraine, nommée Ministre des affaires sociales et de la santé par François Hollande, il devient à son tour député (2012-2017).

Infographie : Denis Maljean / EPJT

« Mon sentiment est d’avoir suivi un parcours dont le fil conducteur est la lutte contre les exclusions et pour l’égalité des chances. C’est la boussole de mes choix professionnels. J’avais envie d’utiliser mon engagement pour changer les choses, lâche d’emblée l’intéressé. Je ne suis pas sûr d’en avoir tant changées ».
Pierre Calmeilles, journaliste de La Nouvelle République à Loches (2012-2019), se souvient d’un élu « droit dans ses convictions, sensible humainement. Il pouvait être peiné quand il n’avait pas su nous transmettre le sens profond de ses actions ».

Infographie : NosDéputés.fr

2017, « une période difficile pour beaucoup d’élus »

Le maire de Loches, conseiller régional de droite (depuis 2020), Marc Angenault se remémore la campagne « très argumentée » des municipales de 2014. Les deux hommes s’y sont affrontés : « Du sérieux ! Il croyait vraiment devenir maire de Loches. Nous gagnons. Il se retire. Jean-Marie a dû vivre un sacré coup de blues ».
Avec l’avènement d’Emmanuel Macron en 2017, le « vieux monde » politique semble un temps balayé. « 2017 a été une période difficile pour beaucoup d’élus, reconnaît Marisol Touraine, dorénavant présidente de l’organisation internationale Unitaid. Au fond, plutôt que de subir, Jean-Marie a décidé d’agir, de reprendre la main ». L’ex-élu le confesse : « en 2017, j’ai pris du temps pour choisir ma troisième vie. J’avais plusieurs options mais elles impliquaient la mise en œuvre de politiques publiques décidées par d’autres ».

En mars 2020, après plusieurs mois de réflexion, Jean-Marie Beffara et Ludivine Antigny ouvrent La Fabrique locale, un restaurant d’insertion qui vise à favoriser l’emploi local et à proposer une restauration en circuits courts. « Tous les deux, on aime les bons produits et on aime cuisiner. Ça a du sens », assume l’associée salariée de la SCOP. Ce midi figurent sur l’ardoise une terrine de campagne et compotée d’oignons rouges, poisson du marché sauce curry madras et wok de légumes, verrine citron et chantilly : entrée, plat, dessert pour 17,50 euros. « Depuis que je le connais, Jean-Marie cuisine, fait mijoter… C’est une activité qui lui apporte de la quiétude et du plaisir », accepte de témoigner Christine Beffara, son épouse et mère de leurs quatre garçons.
« Je cuisine encore tous les jours. J’ai besoin de ça, confit-il. Deux à trois heures de cuisine me permettent et m’ont toujours permis, même en responsabilité, de me ressourcer ».

Photo : Denis Maljean. Jean-Marie Beffara & Ludivine Antigny
Photo : Denis Maljean. Jean-Marie Beffara & Ludivine Antigny, en fin de service à La Fabrique locale.

Le projet concrétise ses préoccupations sociales, « l’idée de permettre aux gens de s’élever », abonde Christiane Collery, ex-assistante parlementaire. Elle tient à souligner la fibre militante mais surtout l’humour de son ancien camarade. « Beaucoup de jeux de mots mais, parfois, je suis le seul à les comprendre. Ça doit être l’âge, plaisante le restaurateur, sourire en coin. Je n’ai pas envie de m’arrêter. Ni de prendre ma retraite ».

Denis Maljean


Ce portrait sera publié dans La Nouvelle République de mai 2025.