« Codenames », « splendor », « citadelle »… Une fois la journée terminée, de nombreux lieutenants se retrouvent, dans leur chambrée ou à la popote, pour jouer à des jeux de société. Photo : Jules Rouiller/EPJT.
Jeux de société, musique, cinéma, sport… Que ce soit à Valdahon, à la caserne ou à la maison, les militaires ont de nombreuses passions pour couper avec le métier. Enfin tenter puisque l’armée n’est jamais très loin.
Par Jules Rouiller et Thomas Langeard
Vingt heure et une minute, un épais brouillard surplombe les allées du 13e régiment du génie de Valdahon. Située dans le Doubs, à quelques kilomètres de la frontière suisse, la fin du camp est marquée par une vétuste barrière rouge. Et de l’autre côté, deux loupiotes chaleureuses égayent la nuit froide. Au fil des pas, la fragrance du croque-monsieur réchauffe les coeurs. Un bâtiment civil prend forme. Derrière la porte principale, le brouhaha et les rires.
Une trentaine d’officiers de l’école militaire de Bourges occupent la pièce. Une popote ambulante. Certains échangent sur leur journée autour d’un verre. Quelques-uns planchent sur la préparation de l’implantation – évaluation à fort coefficient réalisée par les sous-lieutenants – du lendemain. Quand d’autres improvisent une partie de « Citadelle » et se déguisent en fins stratèges. Un moment privilégié où chacun déconnecte à sa manière. Même si le treillis et l’armée ne sont jamais bien loin.
« L’armée, c’est un métier passion, sourit le lieutenant Pierrick. C’est un métier qui demande d’être à 100 % disponible. Souvent, en rigolant avec mes collègues, je leur demande “ et sinon, à part l’armée, tu as quoi comme passion ? ”. » Bonne question. Car même en dehors des heures de travail, le métier pointe toujours le bout de son nez.
Sur la table de chevet par exemple. « En ce moment, je suis en train de relire l’histoire des relations internationales », indique le lieutenant Loïck. Fils de deux officiers dans l’armée de Terre, il a toujours baigné dans cet environnement. Avant de venir sur les évaluations de Valdahon, il avait même lu l’Histoire de l’armée française. Un peu trop barbante à son goût.
La lecture est un instant d’évasion. Un temps où ces officiers peuvent s’isoler en dehors de la vie en communauté. « Lire, ça me déconnecte du présent, explique la lieutenant Manon. J’ai toujours ma liseuse en déplacement, pour prendre du temps pour moi. » Elle lit Iron Flame, un roman fantastique qui nous plonge dans l’Académie de la guerre de Basgiath. Pour vraiment déconnecter ? Encore raté !

Au fond de la popote de Valdahon, une cible orne le mur pour de belles parties de fléchettes endiablées. Photo : Jules Rouiller/EPJT.
Parmi les 80 officiers présents sur le site, plusieurs arrivent à sortir du moule. Et profiter de certaines activités annexes. « Mon petit rituel quand je rentre, c’est cuisiner en écoutant des podcasts sur l’actualité. C’est aussi un moment de partage avec ma femme », savoure le lieutenant Virgil.
S’il n’a pas vraiment de passion dévorante, les jeux vidéos occupent néanmoins une bonne partie de son temps libre. Même si jouer en groupe c’est mieux. « Ça permet de voir le vrai visage des tricheurs », il sourit en coin. Sur place, il a également ramené son ordinateur pour « geeker » sur Space Marines 2. « Et encore, ce n’est rien comparé au régiment sur place à l’année, lance le lieutenant Loïck. Derrière, ils ont installé des Playsation sur grand écran. »
La bonne humeur enivre la popote. Une décontraction primordiale pour laisser retomber toute la pression des évaluations. Car dans quelques semaines, ces officiers connaîtront leur affectation pour les sept et dix prochaines années. « Quel que soit le métier, c’est bien d’avoir un truc auquel on se rattache, une sorte d’exutoire », prévient le lieutenant Ambroise. Pour lui, son petit « truc », c’est le cinéma. Régulièrement, il sillonne les salles de projection pour voir les derniers blockbusters. « Mon dernier film, c’était Gladiator 2. Et depuis tout petit, je regarde des films de guerre. » Sans pour autant confirmer que cela a déterminé son envie de s’engager.
Le CSA : plus de 200 activités pour 20 euros
Et puis dans tout ça, il y a le sport. Un loisir qui oscille pour beaucoup entre la vie personnelle… et le travail. « Quand j’étais en formation, mon chef de section nous conseillait de faire du sport à l’extérieur de l’armée », enchaîne le lieutenant Ambroise. Lui a suivi ce conseil. D’autres ont choisi les offres proposées par l’armée française.
Pour les militaires, le sport c’est : couper avec le métier, se défouler et rencontrer du monde. Beaucoup profitent des activités proposées par les 430 clubs sportifs et artistiques (CSA) présents sur le territoire auxquels il faut ajouter ceux implantés à l’étranger. Plus de 200 activités, allant du football aux fléchettes, sont proposées aux intéressés pour un montant très abordable puisque l’adhésion annuelle est seulement de 20 euros.
« Est bénéficiaire du CSA, un ressortissant de la défense. C’est-à-dire le soldat et sa famille proche. Le conjoint et les enfants », définit le lieutenant Pierrick. Fils de militaire, il avait ainsi pu découvrir la pratique du judo quand il était gamin. Depuis, le quadragénaire a notamment pratiqué le tir, le tir à l’arc et la plongée. Discipline aquatique devenue rapidement une véritable passion lors de sa mission à Djibouti. « La détention d’armes à feu étant strictement interdite dans ce pays, j’avais dû trouver une alternative, indique-t-il. Nous nous sommes tellement investis avec mon épouse qu’à la fin du séjour, elle est devenue la secrétaire et moi le trésorier du club. » « C’est important d’avoir des familles soudées », ajoute le lieutenant Ambroise.
Si le CSA permet aux militaires de partager un moment avec leurs proches, c’est également l’occasion de découvrir de nouveaux visages. La lieutenant Charlotte, qui pratique le basket-ball depuis ses 4 ans, continue d’alimenter sa passion à Bourges après cinq années en Allemagne où elle était inscrite dans un club « civil » : « Je joue avec des gens de l’armée, qui sont dans la même caserne, mais nous ne travaillons pas ensemble. »
Réalisation : Thomas Langeard/EPJT.
Certains, pourtant intéressés par les disciplines proposées, font le choix de chercher une activité en dehors de la sphère militaire pour côtoyer des personnes issues de milieux différents. « J’ai toujours préféré m’inscrire dans le civil. J’ai vraiment cette impression de sortir du régiment », considère le lieutenant Ambroise qui est abonné dans une salle de musculation.
La lieutenant Manon préfère elle-aussi chercher des clubs ailleurs avant de se tourner vers le CSA. Inscrite dans un club d’aviron, elle espère disputer ses premières compétitions au printemps.
Mais alors, peut-on réellement décrocher de l’armée ? « Impossible », nous répond dans la seconde le lieutenant Loïck, rencontré à l’occasion d’une belote coinchée. Une affirmation aussi ironique que sincère pour celui qui considère que l’armée est partie intégrante de ce qu’il est. Un point de vue partagé par le lieutenant Pierrick : « J’estime que l’investissement est tellement important qu’on ne peut pas dissocier le métier de militaire et la vie privée. »
« Beaucoup s’enferment dans ce métier »
D’autres, sans toujours y parvenir totalement, se forcent à couper pour se relâcher mais aussi par peur de se dégoûter du métier au bout de quelques années. « Si on parvient à bien cloisonner les choses, on s’use moins », juge le lieutenant Virgil. « Beaucoup s’enferment dans ce métier et oublient leur vie personnelle et font un turnover. Ils pensent tellement à ça qu’ils finissent par quitter l’armée », prévient le lieutenant Ambroise.
Le port du treillis en dehors de la caserne est souvent le signe d’une difficulté à décrocher avec le métier. « Cela m’arrive de le garder à la maison. J’ai même des collègues qui se moquent de moi quand j’arrive dans le civil avec mon sac de militaire », témoigne le lieutenant Loïck.
Pour d’autres, se changer est aussi une façon d’opérer la bascule. « Quand j’ai mon treillis c’est le travail, quand je l’enlève, c’est repos », souligne la lieutenant Charlotte. Enfin, certains se sentent tout simplement mal à l’aise avec la tenue. « Je ne me suis jamais vraiment fait au regard des gens », déclare la lieutenant Manon.
Les officiers de l’école militaire de Bourges en action. Photo : Jules Rouiller/EPJT.
Mais ranger le treillis ne veut pas dire oublier l’armée. Beaucoup ont un conjoint militaire. Quand il ne l’est pas ce sont les proches qui le sont et le conjoint est rapidement intégré dans ce milieu. « On essaie de ne pas trop parler de l’armée mais c’est quand même des sujets qui reviennent régulièrement. Nos femmes sont amies entre elles. L’armée, c’est une grande famille », explique le lieutenant Virgil.
Une fois engagée, il est difficile de se faire des connaissances en dehors de la caserne. Ce sont finalement ceux qui ont pu garder leurs amis d’enfance qui parviennent le plus facilement à couper. « C’est une chance même si je bouge beaucoup et que l’on ne se voit pas très souvent », avoue la lieutenant Manon.
Depuis une petite dizaine d’années, un autre obstacle, sûrement le plus grand, se dresse devant les militaires : le téléphone portable. « Un véritable fléau », selon le lieutenant Loïck. S’il facilite les échanges avec les proches et les collègues, il repousse toujours plus tard la déconnexion et la fin officielle de la journée de travail.
« Désormais, tout est sur le téléphone donc le soir je reçois des ordres et des informations. Il suffit qu’il y ait une mauvaise nouvelle qui tombe, la soirée est terminée, regrette le lieutenant Virgil. Quand je serai chef, je m’assurerai de ne plus donner d’ordres une fois que les militaires seront rentrés chez eux. » Pour décrocher, il n’y a sans doute pas de remède miracle. Seulement quelques bons ingrédients pour avoir la permission de passer du bon temps.

Jules Rouiller
@jules_rllr
21 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT
Alternant au service des sports de Ouest-France à Angers.
Passé par La Nouvelle République.
Passionné par le sport et la musique.

Thomas Langeard
@Thomas_Langeard
25 ans.
Étudiant en journalisme à l’EPJT.
Passé par Ouest-France et La Nouvelle République.
Passionné par le sport, le cinéma et l’histoire.
Se destine à la presse quotidienne régionale pour sa proximité.